Croix du Tô Ouffet : Différence entre versions
Ligne 163 : | Ligne 163 : | ||
− | '''Retour au [[Ouffet, le Village|Village d'Ouffet]] | + | '''Retour''' au _____ [[Ouffet, le Village|'''Village d'Ouffet''']] ____ ou à _____ '''[[Ouffet, Histoire des|Histoire et lieux-dits d'Ouffet]]''' _____ ou aux _____ [[Passeurs de mémoire d'Ouffet : Patrimoine et Histoire|'''Passeurs de Mémoire]]''' |
Version du 20 janvier 2020 à 12:33
Retour au Village d'Ouffet_____Retour aux Passeurs de Mémoire
Préambule: «L e Tô », lieu-dit d’Ouffet.
Voici deux ou trois ans, monsieur Emile Detaille me confiait un croquis de cette croix de la vieille voie de Himbe à Ouffet. Elle perpétue le souvenir de Claude de Hey, mayeur de Jenneret, « occy le 4 août 1614 ». J’avais pour mission d’en reconstituer l’histoire, estompée aujourd’hui dans les brumes de l’oubli. Si nous coupons nos racines, nous n’aurons plus de fruits…
Sur les lieux, face à cette merveilleuse pierre calcaire, enchevêtrée dans les ronces et les épines, je formule un premier vœu : celui de voir un groupe de jeunes et de moins jeunes prendre quelques soins de ce beau témoin d’une époque qui, pour être révolue, n’en est pas moins présente aujourd’hui et, nous le verrons, bien vivante.
Le second vœu m’intéresse particulièrement : avant de relater les faits historiquement connus, je vais m’efforcer de reconstituer, comme un puzzle, la légende qui nimbe cette croix.
Il m’est agréable de rendre hommage à la prodigieuse mémoire de monsieur Oscar Rasquin d’Ouffet et à tous ceux qui, par la tradition orale, nous ont conservé la couleur de ces évènements.
Pierre Philippart de Foy
Au soleil couchant du mois d’août 2014…
400 ans se sont écoulés !
Cette belle pierre calcaire n’a pas pris une ride. Mieux, à l’abri sous son chêne séculaire, le temps l’a façonnée, patinée. Inspirée de faits historiques,« La légende de la Croix du Tô », oubliée depuis des décennies, réapparaît pour notre plus grand bonheur. Gageons qu’après avoir lu ou entendu sa légende, vous porterez sur ce témoin du passé un tout autre regard.
Pour mieux comprendre l’intrigue, faisons connaissance avec la famille de Hey.
Claude de Hey et son épouse Marguerite résident au sud d’Ouffet, à Himbe, dans la place forte. Historiquement ils ont existé. Claude, mayeur de Jenneret, alors situé en principauté de Liège a bel et bien perdu la vie dans un traquenard à l’endroit même où se dresse la croix du Tô.
La légende, nous avons bien dit la légende, lui adjoint un frère, Gilles qui habite Sparmont. Je vous rappelle que le chemin le plus direct pour se rendre d’Ouffet à Sparmont, distant d’environ une lieue, passe par l’actuelle rue Halbadet.
Une sœur, Jeanne, complète la famille, elle demeure à Xhenceval à moins de deux cents toises de Himbe. Depuis son veuvage, elle vit en compagnie du frère de son époux : l’abbé de Seny à qui elle a confié la gestion de ses biens…
Et maintenant, place aux protagonistes…
Les secrets de la « Croix du Tô » à Ouffet
L’hiver est bien rude. La neige apparue dès la Toussaint est toujours là et nous sommes au mois de février de l’année 1614. Le gel s’est fort accentué depuis la Noël et cela n’a pas simplifié les approvisionnements en cette saison où l’alimentation est toujours précaire.
Demain, à la Chandeleur, Claude et Marguerite de Hey rassembleront tout le monde dans la maison forte de Himbe, devant des piles de « boûquettes » à la farine de sarrasin et aux raisins secs. Quand je dis tout le monde, cela fera un nombre respectable de personnes, car, si les gens d’écurie, les vachers et les porchers resteront à se chauffer auprès de leurs bêtes, tout le reste de la maisonnée se joindra à quelques invités pour se presser autour du feu… et des maîtres. Vers huit heures, Marguerite fera distribuer à chacun un bol de vin chaud au sucre, à la cannelle avec un rien de vinaigre de pomme.
Et puis, on se retirera, pleinement satisfait d’avoir pu faire bombance au milieu de la disette.
Peu de temps après que les courtines eurent été tirées, le vent s’est mis à la tempête. La croisée siffle comme une cornue, la cheminée pousse des hululements interminables et, malgré les effets bénéfiques de la bassinoire, Claude de Hey ne peut trouver le sommeil.
Debout pour arpenter sa chambre, il ne lui est pas possible de tenir une chandelle allumée et il a bien fallu faire amener la lampe. La violence du vent est telle que les cendres saupoudrent le plancher, laissant quelques lamentables braises à leurs derniers crépitements. Comme la neige s’est mise à tomber, elle est précipitée sur les vitraux pour y créer de vagues fantômes blancs. Bientôt, ce sera une poudre de givre qui, forcée par les joints, viendra se mêler à la cendre. Décidément, il fait bien trop froid, le seigneur hautain se recouche en maugréant bien haut pour maudire les circonstances.
Gagné par la nervosité, Claude ressasse la conversation qu’il a eue après le dîner avec sa sœur Jeanne. Il faut savoir que cette dernière, dès son veuvage, avait confié les intérêts de ses enfants au frère de son époux : l’abbé de Seny. Ces intérêts ne vont pas forcément dans le même sens que ceux de ses frères Claude et Gilles que l’abbé n’a de cesse de tourmenter. Tous deux d’ailleurs tiennent grande rigueur à leur sœur de suivre trop à la lettre les conseils de son chapelain de beau-frère.
Cette situation avait amené la conversation de Jeanne et de Claude au niveau des exclamations… Plus que jamais il faut couper broche à ces intrigues : l’héritage de Hey ne peut intéresser des étrangers !
Quatre heures du matin. La tempête semble s’être calmée. Claude, qui vient de se lever, décide de faire harnacher tout de suite afin de ne pas manquer l’office du matin. Le temps d’avaler quelques « boûquettes » roulées à pleines mains et de boire une grande bolée de lait bouillant, il est dans la cour.
La neige lui arriverait à mi-cuisse si l’on n’avait dégagé l’entrée des cuisines. Pour se protéger du vent, la grande et forte jument sellée et vêtue de couvertures, se colle le museau au dos du palefrenier. Claude enfourche l’animal et prend le chemin d’Ouffet. Même le porche ne résonne plus du pas de la bête, elle y marche sur un tapis de neige.
Au sortir du bois de Himbe, l’épaisseur est telle à certains endroits que la panse du cheval y laisse une large trace coticée de deux ornières évidées par les pieds du cavalier enfoncés dans les étriers garnis de fourrure.
C’est dans le Tô que Claude pense devoir rebrousser chemin. Amassée par le vent, la neige atteint ses aisselles. La monture se cabre, saute, s’enfonce et la neige se referme sur son dos : sa tête disparaît. Couché sur le dos de sa monture, le cavalier, à l’aide de ses mains gelées, lui dégage les œillères et les oreilles. Le cheval se redresse pour recommencer le même manège jusqu’à franchir les amas, mètre par mètre.
Au bord de l’épuisement, l’équipage atteint enfin le puits du Tô.
Claude, descendu de monture, franchit à pied dans la neige jusqu’aux hanches, les trois cents derniers mètres qui le séparent de l’église. Il est talonné par sa jument reconnaissante de l’avoir ainsi soulagée. Comme il l’attachait devant la Cour de Justice, il reconnait, bien qu’il fit encore nuit, son frère Gilles qui, venant de Sparmont, avait vécu la même aventure du côté du Hallebodet.
Entrant de conserve à l’église, quelle n’est pas leur stupéfaction de constater que l’on en est déjà au « kyrie » : par un tel froid, plus personne n’attendait les seigneurs. La bouche de chaque fidèle laisse échapper des volutes de « fumée » comme forge à la relance et le chapelain qui n’est autre que l’abbé de Seny, s’interrompt.
Après un bref regard de concertation, les deux frères remontent la grande nef de l’église au bruit des éperons sur le pavé et gagnent leur place sous la chaire de vérité. Imprudemment commencé en dehors de la présence des seigneurs, l’office reprend promptement pour être bien vite achevé. Nos deux compères sortent sans saluer personne. Laissant leurs montures là où ils les ont attachées, ils descendent à la croisée des « Prées » pour y attendre le chapelain qui ne manquera pas d’y passer pour rejoindre Xhenceval où il réside.
Les lueurs de l’aube montrent un ciel plus dégagé, mais le froid reste vif. Les mains enfoncées dans leurs chausses bourrées de foin, les deux frères, rendus invisibles par l’épaisseur de la couche de neige, n’ont pas un quart d’heure à attendre : bientôt, le digne abbé très emmitouflé apparaît, monté sur un fort cheval de trait.
Gilles pique de la pointe de son épée le poitrail de l’animal qui se cabre en hennissant et désarçonne le cavalier. Le chapelain tombe dans les bras de Claude qui lui enfonce son poignard dans le cœur. La victime trépasse… sans un cri.
Trop heureux d’avoir trouvé prétexte à se débarrasser d’un tel gêneur, les frères s’en vont reprendre leurs montures à la Cour de Justice et s’engagent sur le chemin du retour, abandonnant le cadavre dans la neige en prenant toutefois la précaution d’emmener le cheval.
Personne ne s’est inquiété du sort du chapelain. C’est seulement le lendemain que son corps est découvert gelé, tapi dans la neige engluée de sang noirci.
Bien vite la nouvelle traverse le village. Les faits sont reconstitués avec toute la fantaisie et le pittoresque de l’imagination populaire. Bref, l’opinion publique s’en trouve fort scandalisée. Il faut agir.
Dans un premier temps, on fait dresser une croix à la mémoire du chapelain ; dans un second temps, et personne n’a jamais su comment, on retrouve dans le fossé du Hallebodet le corps de Gilles de Hey atrocement défiguré par un coup d’arquebuse.
Atteint dans son affection et ce qu’il croit être son bon droit, Claude, le seigneur de Himbe, ne pense plus qu’à se venger. Il ne se contente pas d’élever une croix à la mémoire de son frère ; il prend toutes dispositions pour mener à bien, et rondement, une enquête afin de découvrir les assassins.
Bientôt, le sergent lui démontre que les coupables sont Jean de Warre et Giel Hayerlin. Ceux-ci, prudemment, ont passé la frontière en terre luxembourgeoise, de l’autre côté du Néblon !
On a beau doubler les gardes, surveiller toutes les routes et les moindres sentiers, on ne parvient pas à les arrêter. Or, on sait qu’ils viennent régulièrement revoir leurs épouses.
Les jours, les semaines et les mois passent. Face à cette habileté, Claude de Hey conçoit un projet machiavélique. Puisqu’il ne peut capturer les deux bandits, il faut leur tendre une embuscade. Mais… après tout, pourquoi ne pas menacer leurs épouses ? De fil en aiguille, il imagine d’accuser celles-ci de sorcellerie.
A l’époque, la question était… brûlante !
Il lui suffit d’en saisir la Cour d’Ouffet et la justice prend un décret d’arrestation contre Marguerite de Warre et Aylid Hayerlin. Elle interroge des témoins. Il s’en trouvent plusieurs, pour démontrer avec force preuves les accointances des intimées avec Satan, leur puissance à rendre malades les gens et les animaux. On a même remarqué chez Marguerite un pied fendu, comme celui d’une chèvre.
Vingt-quatre heures plus tard, elles sont emprisonnées.
La Cour passe à l’interrogatoire en règle des accusées. Celles-ci, attachées à une échelle, subissent une élongation par de lourds poids suspendus à leurs pieds. Devant leur obstination à ne pas avouer leurs méfaits, on passe à un supplice plus subtil : chacune doit ingurgiter de force sept à dix litres d’eau glacée, puis, on recommence l’opération avec de l’eau très chaude.
Elles finissent par avouer tout ce que l’on souhaitait.
Nous sommes le 4 août 1614. En place publique, en moins de deux jours, un grand bûcher est élevé. Les deux condamnées habillées de jute, épuisées par la torture, l’œil hagard et les cheveux collés aux tempes, sont amenées en chariot. Sous les huées, on les bouscule jusqu’à ce qu’elles montent sans réaction à leur dernier supplice. Les deux femmes sont attachées dos à dos à un mât planté au sommet du bûcher pendant que l’on s’apprête à bouter le feu aux balles de paille disposées au pied de l’autel de l’immolation. Le bourreau attendait ce moment pour étrangler les malheureuses avec un fin lacet. Les flammes crépitent rageusement avant de s’élancer vers le ciel dans une gerbe d’étincelles.
Claude de Hey, qui assiste à l’exécution, réalise toute l’horreur du drame qu’il a provoqué. Soudain, il est pris de panique. Enfourchant son cheval, il dévale le chemin du Tô, contourne le puits au grand galop pour remonter vers Himbe quand, arrivé au pied du talus, une arquebusade éclate violemment à ses oreilles.
Mis à bas, il roule dans la poussière… Giel Hayerlin et son compère se sont approchés pour le regarder avec mépris. Ils ricanent. Ils s’enfuient.
Claude de Hey s’éteindra avec le soleil couchant.
Depuis, plus de quatre cents ans se sont écoulés… quatre cents ans !
On pourrait croire ces évènements tombés dans l’oubli.
Cependant, les nuits de pleine lune, aux environs de la Haïre, du Tô, de la place publique, de la Tour de Justice, on rapporte que l’on peut encore parfois entrevoir deux ombres furtives errer, se dissimuler dans les potagers, se faufiler de porche en porche, se glisser de coins en recoins. Seraient-ce les fantômes de Jean de Warre et de Giel Hayerlin ?
Qui sait … leur soif de vengeance ne serait-elle pas encore entièrement satisfaite ?
Alors, malheur, malheur aux imprudents attardés qui auraient l’outrecuidance de prendre faits et causes pour le Seigneur de Hey.
Publié sur le site par les Passeurs de Mémoire d'Ouffet.
Retour au _____ Village d'Ouffet ____ ou à _____ Histoire et lieux-dits d'Ouffet _____ ou aux _____ Passeurs de Mémoire