Oscar Lelarge

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Oscar Lelarge était natif de la ville de Liège. Il vit le jour le 20 février 1868. Arrêté à Statte, le 2 mai 1915, il fut incarcéré à Liège et condamné à mort le 5 juin 1915. Fusillé le 7 juin 1915.

Lelarge eut singulièrement à pâtir des traitements inhumains : arrestation des plus brutales d’abord, coups de pied, coups de poing, diète prolongée, régime étroit de surveillance, aucune amertume ne lui fut épargnée. Pour correspondre avec les siens, il usera d’une épingle, puis d’une mine de crayon qui lui glisse entre les doigts.

Monsieur Lelarge occupait en 1914 les fonctions de receveur en chef de la gare de Statte (Huy) et comptait 25 ans de loyaux services. Après l'invasion, il refuse de travailler pour l'ennemi, entre en relation avec Lenders et s'occupe à épier le va-et-vient de la ligne Liège-Namur dans son poste de Wanze. Il faisait de l'observation une industrie familiale: sa femme l'aidait et même son fils, un bambin de dix ans.


A madame Veuve Louis Lelarge, chez Madame Veuve Havelange, rue des Pierres, 38 à Seraing s/Meuse Adieu, chère Louise, chers petits Léon et Renée, Henri, Léon, Lisette, Mathilde, Maman et Marcel; compliment à tous les collègues, amis et connaissances. Pensée spéciale chez Manout, Grinnée, Sapin, et à tous les intimes. - C'est malheureux de tomber ainsi sous les balles allemandes, et sans avoir le temps d'embrasser ma famille et lui dire un suprême adieu. Petit Léon deviendra comme son père, un homme travailleur, doux, aimable, charitable et juste. J'espère qu'on me considérera comme un soldat tombé. Louise remettra avec soin tous les livres de chemin d e fer, de caisse à M. Sapin. Mes outils seront graissés et remis en caisse. Ils viendront à point à Léon, s'il a des goûts pour la mécanique plus tard. Pauvres petits à qui je croyais faire un brillant avenir en leur inculquant toutes mes connaissances!
Ma petite Renée deviendra une bonne petite femme de ménage; elle aidera sa maman, ainsi que Léon, autant que possible. Si Henri peut faire valoir mes idées, il aidera les enfants.
Louise, il faudra voir M. Philippe. Je crois qu'au besoin, ce cher M. Sapin ira avec toi. Tu lui diras la vérité, que j'ai été sollicité par M . D. .., sur un ton que j'ai pris pour un ordre, qu'ensuite il m'a bien conseillé de cesser, mais malheureusement, qu'ayant donné ma parole à la personne avec laquelle il m'avait mis en rapport, j'ai continué par patriotisme par la suite. Jusqu'ici je n'ai pu écrire qu'avec un bout de crayon d'un centimètre, qui me glisse dans les doigts, et dans l'obscurité d'un cachot à la Chartreuse.
- Voici qu'à huit heures et demie on me donne un peu de lumière, un crayon et un papier. Je continue donc, mais la nuit viendra vite. Je ferai tant que possible. C'est après une première visite à l'aumônier que je puis écrire un peu mieux, mais complètement à bâtons rompus, telles que les idées me viennent à l'esprit. Louise, tu penseras, dès que possible, à faire des démarches pour ta pension. Je crois aussi qu'on te donnera la prime de la mutualité, puisque j'ai versé autant que possible. Tu pourras peut-être faire un petit commerce. Renée grandira, et comme elle a la main au travail, elle t'aidera vite. Il y a aussi la Société fraternelle de Liège où j'ai versé autant que possible (250 francs), mais les carnets qui étaient dans mon pupitre sont perdus dans la guerre. Je ne sais, ma foi que te conseiller, tu feras pour le mieux, suivant tes inspirations. Je prie que dieu te vienne en aide.
- Peu m'importe la sépulture; ne t'encombre pas de ma dépouille; je désire que mon corps n'aille pas à l'amphithéâtre pour servir à des expériences. Je manque de temps pour vous écrire à tous; tu porteras mes douloureux sentiments chez Léon, à Jeanne, chez tante, à Henri, à la famille Colette, chez Grignée, chez Sapin, et à tous les collègues et amis.
- C'est bien triste de finir ainsi.
Ne pas oublier non plus, quant possible, la pauvre petite Lisette et sa soeur Arsène. Quelle douloureuse surprise pour eux! La nuit dernière a été atroce pour moi; à chaque instant, on ouvrait le guichet à ma porte, et l'on m'envoyait un rayon de lampe électrique. En priant nos bonnes influences, j'ai néanmoins pu dormir quelques heures. On avait sans doute peur que je n'attente à mes jours. Je suis très calme. L'aumônier va venir, et demain, au petit jour, je serai quitte de mes maux; il m'allait pourtant fort bien, ma santé n'avait pas eu à souffrir en prison. Je croyais bien aller en Allemagne et on nous conduit à la chartreuse, où on est venu seulement m'annoncer la mort...
- Prends courage et ne pleure pas trop, va. Il te faudra du courage pour vivre; j'espère que les bons coeurs t’aideront, en souvenir de mon martyre. Je n'y vois plus et on vient de me dire de finir. Encore une fois, courage à vous tous. Je serai avec vous en esprit autant que possible. Ma pauvre Renée aura beaucoup d'ordre, et deviendra une demoiselle bien sage. Louise reverra tous mes papiers, et détruira tout ce qui n'est pas utile. Je souhaite que vous soyez heureux dans l'avenir autant que possible. Pardonnez mon griffonnage, et mes papiers de toutes sortes. Je crois vous avoir tout dit. Mes dernières pensées seront pour vous tous en particulier, et pour vous tous en général. Courage, j'en ai. Il n'y a pas d'avance de pleurer, et je pars sans rancune pour personne et en demandant à Dieu de pardonner à mes bourreaux. - Je ne peux pas avoir mérité la mort dans les conditions où cela s'est fait pour moi, mai j'ai eu beau expliquer, cela n'a servi à rien. La fatalité me poursuivait. J'avais cependant beaucoup prié Dieu et mes anges. Décidément, voilà qu'il fait noir; je ne vois plus du tout. Adieu à tout et à tous. Compliments aux familles; voyez Damdoux, Blursack, Grinnée, Sapin etc.
Adieu Louise, Léon, Renée, à vous trois mes derniers baisers.

Oscar

Que dieu vous garde pour le reste de la guerre et vous protège! Priez souvent pour moi. Chère Maman, si vous recevez et lisez la première, communiquez doucement à Louise.