Aguilar-Figols (La famille)
Sommaire
Aguilar-Figols (La Famille)
Préface
C'est l'histoire d'une famille espagnole aragonaise : les parents et leurs quatre enfants, dispersés par la guerre civile, se regrouperont onze ans plus tard à Ouffet après bien des péripéties et des angoisses.
Cest Pilar, nous la connaissons mieux sous le nom de Pilarine, la fille cadette aujourd'hui 87 ans en 2022 qui nous la raconte. Sa mémoire est d'une étonnante précision, nous l'avons écoutée avec beaucoup d'émotion.
Le contexte
Espagne
1931 : la IIe République est proclamée, ce qui porte les républicains au pouvoir après un épisode dictatorial. Ce changement ne résout pas tous les problèmes et les tensions vont en s'amplifiant.
1934 : la tension est à son comble avec le soulèvement des mineurs des Asturies, une province espagnole. Ce mouvement est réprimé dans le sang par le gouvernement et on dénombre plus de 1.000 tués. Dès lors, les partisans de la droite et de la gauche se déchirent.
1935 : l'Espagne est politiquement à la dérive, en proie à des manifestations meurtrières entre la gauche et la droite. Entre juillet 1936 et mars 1939, rien que pour la France, la plus sollicitée,on estime le nombre des immigrés à plus de 465.000, sans compter l'Italie, la Belgique, l'Algérie...
1936 : Le Front Populaire remporte les élections, mais la situation est explosive. Le 17 juillet, le général Francisco Franco est à la tête d'une insurrection militaire et tente de prendre le pouvoir. Le gouvernement républicain résiste, mais la guerre est désormais totale entre nationalistes et républicains. Elle durera trois ans et fera environ 400.000 morts jusqu'à la victoire, en 1939, des nationalistes menés par Franco.
Cette guerre civile tire ses origines d'un profond malaise au sein de la société espagnole. Durant plusieurs décennies, les conflits sociaux, économiques et politiques sapaient peu à peu le pouvoir du gouvernement.
En 1975, Franco décède après 36 ans de dictature, Juan Carlos Ier devient officiellement roi d’Espagne. Ce n'est qu'à partir de ce moment que le pays connaîtra une transition démocratique.
L'odyssée_La famille
Le texte ci-dessous est un condensé d'un enregistrement de plus d'une heure
La famille Laurent AGUILAR-Carmen FIGOLS, réside dans le nord est de l'Espagne, en pays d'Aragon à La Fresneda, à l'ouest de la Catalogne dans la province de Téruel. La Fresneda se situe à environ 100km à l'ouest de la mer Méditerranée et à environ 250km au sud des Pyrénées, la frontière naturelle avec la France.
Ils ont deux fils, Raymond et José et deux filles, Esméralda et Pilar.
Dès 1935 l'Aragon, en grande majorité républicaine comme sa voisine la Catalogne, souffre sous la pression et les violentes représailles des nationalistes de Franco. Les deux frères de Laurent sont arrêtés, l'un sera emprisonné pendant sept ans l'autre huit, Laurent est obligé de fuir vers la France pour ne pas subir le même sort.
Auparavant, Carmen et Laurent ont confié les trois plus âgés de leurs enfants à une colonie de vacances établie dans dans une villa de maître en périphérie de Barcelone. Pour subsister, Carmen qui a gardé auprès d'elle Pilar sa plus jeune fille, a trouvé en ville une place de concierge.
Laurent rejoint un cousin coiffeur à Nice, ce dernier a besoin d'une personne de confiance compétente pour gérer une fermette qu'il a achetée à Brial_Bressols entre Toulouse et Montauban. Laurent a toujours travaillé la terre, cela lui convient donc tout particulièrement, il pratique l'élevage et le maraîchage, les cousins se partagent les bénéfices.
Les contacts entre les époux sont difficiles, ils communiquent par courrier et cela prend du temps.
La situation partout en Espagne s'aggrave, Barcelone subit de fréquents bombardements. Les enfants de la colonie, ils sont nombreux, ne sont plus en sécurité aussi sont-ils évacués par leurs protecteurs en camions à travers la France. Ils passeront par Paris et arriveront finalement à Nandrin en Belgique. Ils seront répartis dans la région dans des familles d'accueil. Parmi eux, les trois enfants Aguilar : José sera confié à une famille de Poulseur, Raymond viendra à Ouffet au Doyard chez Marie Villers et Esméralda à Oneux Comblain. Tout cela, Carmen ne l'apprendra que neuf mois plus tard à la réception d'une lettre envoyée par une des familles d'accueil avec une photo prise à l'occasion d'une réunion des enfants le weekend ou lors des vacances au Doyard chez Marie Villers.
Voilà neuf ans que la famille s'est dispersée, comment la réunir ?
Laurent ne peut rentrer en Espagne, trop dangereux, il est recherché par la police. Carmen, qui réside toujours à Barcelone avec Pilar, souhaite que les enfants la rejoignent. Laurent se montre réticent, il faut qu'elle travaille, comment va-t-elle pouvoir les élever, subvenir à leurs besoins ? En homme réfléchi, il la persuade d'attendre la réouverture des frontières, mais celle-ci n'est apparemment pas à l'ordre du jour, cela fait maintenant neuf ans que dure la séparation. Il est donc décidé que Carmen viendra en France. Entretemps, Laurent se rend à Ouffet en Belgique s'assurer du bien-être des enfants et évaluer les possibilités de s'y installer.
La visite de Laurent s'étant avérée positive, il décide de faire appel à un passeur pour faire venir son épouse, le projet est mis sur pied. Le guide se fait largement payer, il faut dire qu'il risque sa vie, s'il est pris il est exécuté sur place sans autre forme de procès et les candidats à l'émigration conduits en prison.
En octobre 1946, hasard du calendrier le 12 à la saint Pilar, Carmen et sa fille cadette se rendent à Seu Durgell, à cette époque dernier village espagnol au pied des Pyrénées. Ils s'installent à l'hôtel en attendant leur contact. Celui-ci ne tarde pas, il se présente sous la forme d'un chauffeur de camionnette chargé de la récolte du lait dans les petites fermes disséminées au pied de la montagne. Ils parviendront au plus près de la frontière française, la maman cachée entre les cruches et la petite sur la banquette à côté du chauffeur et à qui on a bien recommandé de dire qu'elle accompagne son oncle dans sa tournée au cas où ils feraient l'objet d'un contrôle, ce qui s'est présenté par deux fois. Très tôt le matin, ils arrivent dans une petite ferme, les exploitants leur offrent le petit déjeuner et, Pilar s'en souvient comme si c'était hier, un grand bol de lait crémeux et mousseux !
Un second guide est chargé de leur faire traverser la frontière et de les amener à Andorre où le papa les attend dans une auberge. Le passeur arrive presque aussitôt, Pilar se souvient d'un grand fort homme, un énorme pistolet en bandoulière à demi dissimulé sous sa veste. Les voilà en route par des sentiers rocailleux pour une randonnée en montagne qui n'aura rien de touristique. C'est lors de ce périple que notre petite Pilarine verra et touchera de la neige pour la première fois. Ils marcheront toute la journée jusque bien tard dans la soirée avant d'atteindre une cabane de berger où ils vont pouvoir s'écrouler à même la paille et dormir, sans même penser à manger.
Le lendemain, réveil à cinq heures, courbaturés, les pieds gonflés, un brin de toilette avec l'eau glacée du petit ruisseau tout proche, un frugal repas et l'interminable marche reprend jusqu'à l'arrivée sur la route qui mène à Andorre. Là, Carmen, les pieds gonflés, bleuis, est incapable de continuer, par la suite elle perdra tous les ongles des doigts de pieds. Un premier camion passe puis un deuxième qui s'arrête et les emmène. Rien n'a changé : Carmen avec les moutons dans la benne, Pilar sur la banquette aux côtés du chauffeur !
Arrivés à l'auberge où les attend Laurent, c'est l'euphorie. Père et fille auraient été incapables de se reconnaître s'ils s'étaient croisés dans la rue.
Ils rentrent tous les trois à Brial Bressols où ils vont encore séjourner un an jour pour jour car, nouvel hasard du calendrier, c'est encore un 12 octobre, un dimanche, qu'ils se mettent en route pour Ouffet.
Ce n'est donc qu'à l'automne 1947, onze longues années plus tard que les six membres de la famille sont enfin réunis. Ils séjourneront un moment chez Marie Villers au Doyard avant d'enfin emménager dans un nouveau "chez-eux".
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